Un chiffre, rien qu’un : chaque année, plus de 800 000 agents publics déposent au moins un arrêt maladie. Non, ce n’est pas un record enviable, ni un hasard statistique. C’est le terrain de tous les débats, de toutes les crispations. Parmi les sujets qui divisent, la journée de carence s’impose : un jour sans salaire au moindre arrêt, une règle qui ne laisse personne indifférent.
Dans la fonction publique, la journée de carence s’applique à chaque agent, dès le premier jour d’un arrêt maladie ordinaire. Depuis le 1er janvier 2018, ce mécanisme frappe sans distinction : fonctionnaires titulaires ou contractuels de droit public, tous voient leur rémunération suspendue à cette occasion. Ce retour en force, voté dans la loi de Finances 2018, ne laisse aucune marge de manœuvre à l’employeur public.
Petit rappel historique : la mesure n’est pas nouvelle. Apparue en 2012, supprimée en 2014, elle a été réintroduite pour durcir la lutte contre l’absentéisme et rapprocher le régime public du modèle privé. Désormais, chaque nouvel arrêt maladie, qu’il dure un jour ou dix, ouvre systématiquement la journée de carence. Personne n’y échappe, sauf exceptions prévues par la loi.
Avant d’aller plus loin, précisons les situations qui font exception à la règle. Voici les cas concrets où la journée de carence ne s’applique pas :
- Une prolongation d’arrêt transmise dans les 48 heures après la reprise du travail
- Une affection de longue durée (ALD)
- Un accident de service ou une maladie professionnelle
- Un congé de longue maladie ou de longue durée
- Un congé maternité
À chaque fois, la loi encadre strictement ces exceptions. L’employeur public n’a pas le pouvoir de compenser ce jour non payé. Cette suspension vise toutes les composantes du salaire : traitement indiciaire, primes, indemnités. L’idée affichée reste de rapprocher le secteur public du privé. Mais la comparaison s’arrête là, tant les modalités diffèrent d’un univers à l’autre.
Le jour de carence continue de diviser les agents publics
Ce dispositif ne fait pas l’unanimité. Pour de nombreux agents, perdre le salaire du premier jour d’arrêt revient à questionner la confiance accordée à leur engagement. Certains y voient une suspicion généralisée, un soupçon d’abus, alors même que la bonne foi reste la norme dans la fonction publique.
Les syndicats montent régulièrement au créneau. Ils dénoncent un système jugé inéquitable, surtout dans une période où la pression sur les agents s’accentue et où les arrêts maladie reflètent souvent la pénibilité croissante du service. Le sentiment d’être mal compris s’exacerbe quand on constate les disparités de traitement : la carence saute en cas de maladie professionnelle ou d’ALD, mais reste en vigueur pour d’autres pathologies, parfois tout aussi invalidantes. De quoi alimenter l’incompréhension.
Pour les contractuels de droit public, la journée de carence peut surprendre par sa brutalité financière. La perte de rémunération, sans filet de compensation ni garantie de prise en charge par une mutuelle, déstabilise plus d’un agent. Le secteur privé, lui, permet parfois à l’entreprise ou à la complémentaire santé de couvrir ce manque à gagner. Dans la fonction publique, rien de tel pour la majorité des agents, et la règle s’applique sans exception.
Pourtant, l’efficacité du dispositif interroge. Selon les statistiques de la CNRACL, l’absentéisme n’a pas franchement diminué depuis la remise en place de la journée de carence. La mesure, présentée comme un outil de responsabilisation, s’avère beaucoup moins tranchante que prévu. Derrière les chiffres, le débat dépasse la question budgétaire : c’est la reconnaissance du travail des agents qui se joue, et la confiance entre l’administration et ceux qui la font vivre au quotidien.
Comment la journée de carence se traduit-elle dans la vie d’un agent public ?
Dans les faits, chaque arrêt maladie ordinaire se paie d’une journée sans traitement. Le mécanisme est simple : le fonctionnaire, titulaire ou contractuel, voit son traitement indiciaire, ses primes, sa nouvelle bonification indiciaire (NBI) et son indemnité de résidence suspendus pour cette journée. En revanche, le supplément familial de traitement (SFT) continue d’être versé, à condition d’y avoir droit.
L’agent doit transmettre son arrêt de travail dans les 48 heures à son employeur. Un retard, hors cas exceptionnels comme l’hospitalisation ou la force majeure, entraîne une retenue supplémentaire sur la paie. La règle ne laisse aucune place à la négociation, tant elle est encadrée par les lignes directrices de gestion édictées par les centres de gestion territoriaux.
Autre précision : seule la première journée du premier arrêt maladie ordinaire est concernée. Si l’arrêt se prolonge, la carence ne s’applique pas à nouveau, à condition de respecter les délais. Les agents victimes d’une maladie professionnelle ou bénéficiant d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service échappent à la règle.
La situation se complique pour les agents affiliés à l’IRCANTEC. Ceux-ci subissent à la fois la journée de carence du secteur public et le délai de carence de trois jours appliqué par la CPAM pour l’indemnisation du régime général. Résultat : plusieurs jours sans revenu, sans possibilité de compensation. Le système peut sembler absurde, tant il pénalise certains statuts plus que d’autres. Cette double peine n’est pas sans provoquer de vives réactions chez les agents concernés.
Les exceptions à connaître et les évolutions récentes
La journée de carence n’est pas une règle absolue. Plusieurs situations prévues par la réglementation permettent d’y échapper. Pour y voir plus clair, voici les cas dans lesquels la retenue ne s’applique pas :
- Affection de longue durée (ALD)
- Congé de longue maladie (CLM) ou de longue durée (CLD)
- Congé maternité, arrêt pour grossesse pathologique, fausse couche ou décès d’enfant
- Congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS)
- Maladie professionnelle
À nouveau, les agents affiliés à l’IRCANTEC affrontent une difficulté supplémentaire. Ils font face à deux jours de carence superposés : celui du secteur public, celui du régime général. Cette situation, largement dénoncée, traduit le manque de coordination entre employeurs publics et caisses d’assurance maladie. Les périodes sans ressources qui en résultent posent la question du traitement équitable des différents statuts d’agents.
Les règles évoluent parfois au gré de l’actualité. Lors de la crise Covid-19, la journée de carence avait été suspendue pour les agents testés positifs, avant d’être rétablie après l’état d’urgence sanitaire. Le débat sur une harmonisation avec le secteur privé, ou sur la prise en compte des particularités individuelles, reste entier. Les discussions entre représentants des agents et administration témoignent d’une tension permanente autour de la mesure.
En définitive, la journée de carence continue de façonner le quotidien des agents publics, entre contraintes financières et sentiment d’injustice. La règle est là, mais le débat, lui, ne s’éteint jamais vraiment. Qui sait quel visage prendra demain la protection sociale des fonctionnaires ?